Me voilà depuis 24 heures à Paris et comme d’habitude, j’avais oublié qu’on ne parle pas aux inconnus, qu’on les ignore, qu’on ne répond pas quand on nous parle et qu’on ne croise le regard de personne. Heureusement que mes amis les relous sont là pour me rappeler les règles élémentaires du savoir-vivre, qui sont 1) soit tu respectes le savoir-vivre mais tu perds douze heures par jour à te débarrasser de ceux qui en abusent, 2) soit tu vis comme un zombie. Je repasse donc dès maintenant en mode zombie.
Et bon sang, il y a encore des mecs qui draguent dans la rue au XXIe siècle.
Putain. Ce discours, je l’ai entendu dix mille fois. Qui l’a inventé ? Comment se propage-t-il ? Qui est le diffuseur du script « faisons connaissance » ? Je connais les répliques tellement par coeur que j’ai l’impression de jouer une pièce de théâtre.
- Bonjour (intro à la con : demander l’heure, le chemin, blabla).
- (Réponse que le mec n’écoute jamais et qu’il va interrompre.)
- Génial, et au fait, je cherche à rencontrer des gens sur Paris.
- Je vis à Berlin.
- Oui mais vous partez quand de Paris ? On peut se voir avant votre départ ?
- Vous êtes gentil mais je suis très occupée.
- Ah bon mais je peux prendre votre numéro pour au cas où je viendrais à Berlin un jour ?
- Non, je ne donne pas mon numéro aux inconnus.
- Alors faisons connaissance d’abord.
- Je suis très occupée.
- Faisons connaissance demain.
- Non plus. Vous savez qu’interrompre quelqu’un dans la rue pour faire connaissance, c’est maladroit. Il y a des lieux pour faire connaissance. C’est plus pratique pour tout le monde. Si vous brisez cette règle sociale, on ne se sent pas en confiance pour la suite, et du coup, on n’a pas vraiment envie de vous revoir.
Ou alors :
- Je veux juste qu’on soit amis, alors vous pouvez me donner votre numéro.
- On ne peut pas décider de l’amitié après douze secondes de conversation.
- C’est parce que vous avez l’air sympa.
- Donc vous choisissez vos amis au physique.
(J’aime le concept que l’amour serait un truc qui se décide à deux, mais que pour l’amitié, d’un coup, on n’ait plus besoin de consentement. Comme si c’était totalement unilatéral.)
Ou alors :
- Bonjour.
- … (mode zombie)
- Vous ne me répondez pas bonjour !
- Non. Il y a deux millions d’habitants à Paris, donc je ne dis pas bonjour à tout le monde.
- La politesse se perd, bla bla bla, mais je vous pardonne parce que je suis trop magnanime, donc faisons connaissance.
- Ne pas obliger quelqu’un à faire connaissance, c’est aussi une question de politesse.
Ou alors :
- Vous ne dites pas bonjour parce que vous êtes raciste.
(Ah, la culpabilisation par le racisme. Un grand classique dès que le relou n’est pas blond platine. On me l’a aussi balancé pour avoir refusé de signer une pétition contre un projet routier, et je me demande combien de personnes votent FN exactement parce que quitte à être traité de raciste, bah autant y aller, hein.)
Sérieusement, n’importe quel « charmante » vaut mieux que la fausse demande de conseil enchaînée avec une drague extrêmement rapide et insistante. 1) Le mec ne tient même pas son rôle (te prouvant ainsi qu’il se fout de ta gueule depuis le début, comme ça au moins c’est clair), 2) c’est de la vente forcée, et adapter aux humains le concept des soldes pour yaourts périmés, ça ne donne pas vraiment envie (au moins quand on achète en soldes, on économise un peu d’argent).
Je ne comprends pas que ça existe encore. Sincèrement. C’est nullissime. Mais surtout c’est toujours identique. Qui a écrit ce script ? Est-ce qu’un best-seller de l’ombre existe pour enseigner aux hommes cette exacte progression du dialogue ? Comment se fait-il qu’on retrouve la même phrase à l’intonation près, dans la bouche de centaines, de milliers de désespérés ?
(Je vais vous reparler très vite des problématiques de drague et de couleur de peau, mais il se trouve que ce script est très rarement employé par des Blancs.)
Enfin bref. Tout ça pour dire que je ne sais plus faire la différence entre les mecs qui tentent leur chance dans la rue, parce qu’à force d’essayer tous pareil, ils deviennent interchangeables. En me proposant de « faire connaissance » ils arrivent à ce qu’on fasse encore moins connaissance. Un jour, un jour, je prendrai un café avec l’un d’eux (le jour lointain où je ne serai pas dans la rue pour une bonne raison, comme aller quelque part). Peut-être que j’aurai la réponse à mes questions.
En attendant, face à l’armée des dragueurs morts-vivants obéissant à un unique script de séduction, ce n’est plus moi le zombie. C’est eux.
Source :
Maïa Mazaurette
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