(Deuxième partie, l'article étant trop long pour être posté en une fois)
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Une fois la femme «tombée dans vos filets» il convient de tout mettre en œuvre pour la garder près de vous, et de fixer cet amour naissant. Certains moyens sont illusoires, les «enchantements» et les «philtres», que l'on pourrait assimiler à l'alcool. En somme débuter une relation et séduire en faisait usage d'artifices est à oublier. Au contraire, être aimable est la meilleure recommandation faisable. La beauté diminuant avec le temps, «Forme-toi bien l’esprit, bien durable, qui sera l’appui de ta beauté : seul il subsiste jusqu’au bûcher funèbre» et «possède quelque chose de plus que la beauté du corps» Il s’agit d’être gentil et attentionné, qualités toujours recherchées à notre époque même si aujourd’hui il est plus facile de tomber dans le piège de la gentillesse à outrance. Alors être gentil, oui, à condition d’être honnête, de se respecter et de savoir se faire respecter et dire non en cas d’abus. C’est là l’une des différences fondamentales entre l’idée de la séduction que se fait Ovide et notre vision contemporaine.
«Aie soin de tenir sur elle son ombrelle déployée ; de lui frayer un passage, si elle se trouve engagée dans la foule ; empresse-toi d’approcher le marchepied pour l’aider à monter sur son lit ; ôte ou mets les sandales à son pied délicat […] Ne rougis point, bien qu’il y ait quelque honte, d’employer ta main, la main d’un homme libre, à lui tenir le miroir […] Si ta belle te donne un rendez-vous au Forum, tâche de t’y trouver avant l’heure prescrite et ne te retire que fort tard. Si elle t’ordonne de te trouver en quelque autre endroit, quitte tout pour y courir : la foule même ne doit pas ralentir ta marche. Si, le soir, retournant chez elle, au sortir d’un festin, elle appelle un esclave, offre-toi aussitôt. Tu es à la campagne, et elle t’écrit : "Venez sur-le-champ" ; l’Amour hait la lenteur. À défaut de voiture, fais la route à pied. Rien ne doit t’arrêter, ni un temps lourd, ni l’ardente Canicule, ni la neige qui blanchit les chemins.»
Je ne me trompe pas en affirmant qu’appliquer ces recommandations aujourd’hui tient plus de la folie que de la séduction. De même lorsqu’il explique à quel point l’argent tient un rôle fondamental dans le processus de séduction «Un Barbare même, pourvu qu’il soit riche, est sûr de plaire. Nous sommes vraiment dans l’âge d’or : c’est avec l’or qu’on obtient les plus grands honneurs ; c’est avec l’or qu’on se rend l’amour favorable.» Vaste débat, aujourd’hui encore ouvert, que celui de l’argent et de son utilisation pour séduire.
Qu’en est-il de la fidélité ? La seule recommandation qu’il nous donne est de «S’arranger pour que les infidélités demeurent ignorées», et non de rester fidèle. Au contraire ! «Ce n’est pas que je vous condamne à n’avoir qu’une amie ! C’est à peine si une femme mariée peut suivre cette conduite», «Que votre faute soit cachée et furtive»
Et quand bien même ces infidélités seraient connues, le seul conseil donné est de tout nier en bloc. Encore plus loin, de les révéler afin de provoquer dans certains cas la jalousie !
Il va de soi que cette vision est très restrictive, et peut être difficilement compréhensible de notre point de vue actuel.
Hormis ces recommandations quelque peu originales, les conseils suivants sont intéressants et toujours valables. Se connaitre, avoir confiance en soi. «Seul celui qui se connaitra sera sage dans ses amours et proportionnera les entreprises à ses forces» Savoir se taire et rester discret sur ses relations, s’accepter et «déguiser le défaut sous la qualité qui en est le plus voisine», et surtout pratiquer, encore et toujours.
Il est intéressant de constater à quel point certains conseils paraissent aujourd'hui démodés voire fous, mais aussi comment certains d'entre eux sont, deux millénaires après l'écriture de ce livre, toujours aussi valables.
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Le troisième et dernier livre est consacré aux moyens que les femmes peuvent mettent en œuvre pour séduire les hommes. Ovide donne ici une place primordiale à la beauté de celle-ci qu’elles doivent mettre en avant, car elle n’est qu’éphémère. «Songez à la vieillesse qui viendra ; ainsi vous ne laisserez passer aucun moment sans en profiter» Le conseil, sorte de Carpe Diem, peut également être donné aux hommes, sauf qu’il lie ici la vieillesse à la perte de la beauté. Une femme se doit de mettre l’accent sur son apparence: sa coiffure, ses vêtements, et d’autres moyens lui permettant d’être belle. «Un bouc farouche ne doit pas loger sous vos aisselles et vos jambes ne doivent pas être hérissées de poils rudes» (autant être clair et explicite) «Apprend à marcher comme il sied à une femme», «Si tu es petite, assieds-toi, de peur que, debout, on ne te croie assise» (j'avoue avoir particulièrement ris à la lecture de celui-ci) Le tout en précisant que «c’est en l’absence des hommes qu’il faut vous faire une beauté»
Après avoir tergiversé et s'être limité à ces aspects physiques, il prévient également les femmes des hommes dont «ce qu’ils vous disent, ils l’ont dit à mille autres : leur amour vagabond ne se fixe nulle part», et leur conseille de «ne pas traiter de la même façon un novice et un homme plus expérimenté» En somme, de s’adapter aux hommes qu’elles convoitent, et de ne pas se laisser aller en ce qui concerne l’alcool. «Quel spectacle honteux qu’une femme étendue par terre, gorgée de vin !»
Les recommandations données aux femmes sont moins étendues et moins intéressantes que celles distribuées aux hommes. Peut être parce qu’Ovide en était un ? Ou qu’il n’a pas voulu s’étendre sur le sujet, ne pas trop en révéler. Après tout, aujourd’hui, une femme instruite par la connaissance des techniques de séduction, par l’existence de cette communauté n’en devient-elle pas plus difficile à séduire ? La difficulté apporte certes plus de mérite, et ce n’est pas la connaissance et l’application de techniques qui importe le plus mais l’utilisation que l’on en fait et notre capacité à devenir un homme intéressant, heureux, et qui attirera naturellement, mais c’est un autre débat.
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Alors au fond, que retenir de cette œuvre écrite il y a plus de deux mille ans ? Peut-on en tirer quelque chose pouvant nous aider à séduire ? Et bien pas vraiment. Parce que les conseils donnés ont déjà été répétés maintes fois, ou alors ils sont tous simplement démodés ou inapplicables dans la majeure partie des situations auxquelles nous pourrions être confrontés. Mais il est tout de même intéressant de regarder vers le passé, et d’étudier quels ont été les méthodes et conseils donnés il y a deux millénaires, et comment pouvait fonctionner la séduction à cette époque. Il est également évident que l’ouvrage ne se veut pas totalement sérieux, et comporte une très large dimension parodique. Personnellement, je n’ai pas trop ressenti ce petit côté ironique, voire comique, si ce n'est peut être à certains moments contradictoires (notamment le passage sur le fait de se lier d'amitié avec une femme pour la séduire) Quoi qu'il en soit j'ai considéré cette œuvre comme sérieuse, je n'aurais pas pu faire cette étude si j'avais considéré ce livre comme ironique.
Et si jamais vous étiez intéressés, n’hésitez pas à lire quelques passages (ou l’intégralité pour les plus téméraires)
ici.