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Voir la version complète : Ovide, L'art d'aimer


Simurgh
02/03/2013, 14h46
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L'Art d'aimer, ou la séduction il y a deux mille ans.

L’Art d’aimer, œuvre en vers du poète latin Ovide parue aux environs de l’an 1. Oui, c’est vieux. Je vous vois déjà arriver en disant, quel est le rapport avec la séduction ? Et bien, laissez moi vous expliquer la chose.

Œuvre qui se veut une initiation à l'art de l'amour, et surtout de la séduction, L’art d’aimer est avant tout L’Art de séduire (ce qui n’est pas sans rappeler un certain site…)

Je n’ai pas l’intention de réaliser une étude universitaire rébarbative et détaillée de ce livre, mais d’examiner les points communs entre les conseils donnés par Ovide le long de son œuvre et ceux que l’on a l’habitude de donner aujourd’hui, de dresser un parallèle entre la séduction antique et celle actuelle. Les phrases entre guillemets sont toutes des citations du livre. Je me suis rendu compte que l’article était assez long, je m’en excuse, n’hésitez pas à le lire en plusieurs fois et à me donner votre avis.

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Comment s’organise L’art d’Aimer ? Concrètement, les trois livres sont dévoués à trois domaines de la séduction bien particuliers. En premier lieu, il s’agit de trouver et de toucher, c’est-à-dire séduire, l’objet de vos désirs. Puis de mettre en œuvre différents moyens pour garder la «proie poursuivie tombée dans les filets» Enfin, il consacre le dernier livre à la séduction des hommes par les femmes (histoire de ne pas oublier ces chères demoiselles)

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C’est ainsi que commencent les conseils donnés par Ovide. Il nous rassure en accordant une grande part d’importance à la pratique. Point de masturbation intellectuelle il y a deux mille ans, c’est «l’expérience qui me dicte cet ouvrage: écoutez un poète instruit par la pratique» Soit, écoutons. Tout d’abord, où chercher ? A Rome, dans les lieux publics, dans les fêtes et cérémonies religieuses, au forum, aux théâtres et aux cirques, voire dans les temples. On l’aura compris, tous les lieux sont bons pour chercher «de quoi faire une conquête d’un jour ou de quoi nouer une relation durable» Une LTR ou une ONS en somme. On notera au passage qu’on parle aujourd’hui de conquête d’un soir alors qu’à l’époque il s’agissait de «conquête d’un jour» Amusant.

Une fois la belle repérée, viennent les premiers conseils. Comment l’aborder ? De quoi parler ? Bien entendu, il ne conseille pas explicitement d’utiliser un opener contextuel mais ce qu’il décrit y ressemble, et «que tes premières paroles soient des banalités» Et concernant les attentions à avoir, «Si, par un hasard assez commun, un grain de poussière volait sur le sein de ta belle, enlève-le d’un doigt léger ; s’il n’y a rien, ôte-le toujours : tout doit servir de prétexte à tes soins officieux. Le pan de sa robe traîne-t-il à terre ? relève-le, et fais en sorte que rien ne le puisse salir. Tu dois en outre faire attention aux spectateurs assis derrière elle, de peur qu’un genou trop avancé ne touche à ses tendres épaules. Un rien suffit pour gagner ces esprits légers : que d’amants ont réussi près d’une belle, en arrangeant un coussin d’une main prévenante, en agitant l’air autour d’elle avec un éventail, ou en plaçant un tabouret sous ses pieds délicats !» Un vaste mélange de galanterie et de gentillesse. Aujourd’hui j’aurais tendance à conseiller à Ovide de ne pas agir en Nice-Guy. A l’époque, il semblerait que ce soit la norme.

Vient ensuite le cœur du sujet, à savoir quels moyens mettre en place pour séduire une femme. Il est à la fois étonnant et intéressant qu’il parle en premier lieu de la confiance en soi. On ne cesse de le répéter, la confiance en soi est la première et la plus importante des qualités d’un séducteur. Et ce depuis deux mille ans. «Avant tout, que ton esprit soit bien persuadé que toutes les femmes peuvent être prises» Une phrase que l’on a l’habitude de répéter à tous les séducteurs, qu’ils soient novices ou expérimentés. Deuxième qualité, qui a traversé les âges: ne pas avoir peur de l’échec. «Qu’elles cèdent ou qu’elles résistent, elles aiment toujours qu’on leur fasse la cour ; même si tu es repoussé, l’échec est pour toi sans danger»

Second moyen pour s’approcher d’une femme, acquérir la complicité de sa servante. Rien n’a changé, si ce n’est qu’on a aujourd'hui plutôt tendance à se rapprocher des amies de la femme que l’on convoite que de sa servante (après tout dépend aussi des milieux sociaux, et si jamais un jour votre target avait une servante, souvenez du conseil de ce cher Ovide) Certains l’auront peut être appris à leurs dépends, mais s’entendre mal avec les amies de sa target est l’un des meilleurs moyens pour mal commencer une relation.

D’autres conseils suivent. Utiliser lettres et paroles pour complimenter sa dulcinée, savoir être patient et attendre le moment propice pour entamer une conversation, «adapter ces conseils aux caractères féminins», en clair calibrer sa séduction, mais aussi ce que l’on pourrait comparer à une mise en garde face aux dangers de la FZ. «Peut-on, à moins d’avoir perdu l’esprit, adresser toute une déclamation à sa tendre amie ?» Sûrement pas. Étrangement, il nous dit aussi que «pour que ton amour progresse, cache-le sous le nom d'amitié»

Qu’en est-il du physique à l’époque des gladiateurs aux muscles saillants et autres cultes de la beauté du corps ? Prenez soin de vous, de votre corps et de votre apparence vestimentaire, voilà le conseil donné par Ovide. «C’est par la simple élégance que doivent plaire les hommes, que ta peau soit hâlée […] que tes cheveux, que ta barbe soient taillés par une main experte, que tes ongles soient bien coupés et propres, qu’une haleine désagréable ne sorte pas d’une bouche malodorante» Cela est aujourd'hui encore une évidence.

L’alcool était déjà à l’époque une des préoccupations du séducteur. Si «une femme est ta voisine sur le lit de table, prie le dieu de la nuit de ne pas permettre que le vin te porte à la tête», on remarque aussi que «L’ivresse, si elle véritable, te fera tort ; si elle est feinte elle peut être utile» Un volontaire pour tester sur le terrain la méthode du faux mec bourré ?

Simurgh
02/03/2013, 14h47
(Deuxième partie, l'article étant trop long pour être posté en une fois)

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Une fois la femme «tombée dans vos filets» il convient de tout mettre en œuvre pour la garder près de vous, et de fixer cet amour naissant. Certains moyens sont illusoires, les «enchantements» et les «philtres», que l'on pourrait assimiler à l'alcool. En somme débuter une relation et séduire en faisait usage d'artifices est à oublier. Au contraire, être aimable est la meilleure recommandation faisable. La beauté diminuant avec le temps, «Forme-toi bien l’esprit, bien durable, qui sera l’appui de ta beauté : seul il subsiste jusqu’au bûcher funèbre» et «possède quelque chose de plus que la beauté du corps» Il s’agit d’être gentil et attentionné, qualités toujours recherchées à notre époque même si aujourd’hui il est plus facile de tomber dans le piège de la gentillesse à outrance. Alors être gentil, oui, à condition d’être honnête, de se respecter et de savoir se faire respecter et dire non en cas d’abus. C’est là l’une des différences fondamentales entre l’idée de la séduction que se fait Ovide et notre vision contemporaine.

«Aie soin de tenir sur elle son ombrelle déployée ; de lui frayer un passage, si elle se trouve engagée dans la foule ; empresse-toi d’approcher le marchepied pour l’aider à monter sur son lit ; ôte ou mets les sandales à son pied délicat […] Ne rougis point, bien qu’il y ait quelque honte, d’employer ta main, la main d’un homme libre, à lui tenir le miroir […] Si ta belle te donne un rendez-vous au Forum, tâche de t’y trouver avant l’heure prescrite et ne te retire que fort tard. Si elle t’ordonne de te trouver en quelque autre endroit, quitte tout pour y courir : la foule même ne doit pas ralentir ta marche. Si, le soir, retournant chez elle, au sortir d’un festin, elle appelle un esclave, offre-toi aussitôt. Tu es à la campagne, et elle t’écrit : "Venez sur-le-champ" ; l’Amour hait la lenteur. À défaut de voiture, fais la route à pied. Rien ne doit t’arrêter, ni un temps lourd, ni l’ardente Canicule, ni la neige qui blanchit les chemins.»

Je ne me trompe pas en affirmant qu’appliquer ces recommandations aujourd’hui tient plus de la folie que de la séduction. De même lorsqu’il explique à quel point l’argent tient un rôle fondamental dans le processus de séduction «Un Barbare même, pourvu qu’il soit riche, est sûr de plaire. Nous sommes vraiment dans l’âge d’or : c’est avec l’or qu’on obtient les plus grands honneurs ; c’est avec l’or qu’on se rend l’amour favorable.» Vaste débat, aujourd’hui encore ouvert, que celui de l’argent et de son utilisation pour séduire.

Qu’en est-il de la fidélité ? La seule recommandation qu’il nous donne est de «S’arranger pour que les infidélités demeurent ignorées», et non de rester fidèle. Au contraire ! «Ce n’est pas que je vous condamne à n’avoir qu’une amie ! C’est à peine si une femme mariée peut suivre cette conduite», «Que votre faute soit cachée et furtive»

Et quand bien même ces infidélités seraient connues, le seul conseil donné est de tout nier en bloc. Encore plus loin, de les révéler afin de provoquer dans certains cas la jalousie !

Il va de soi que cette vision est très restrictive, et peut être difficilement compréhensible de notre point de vue actuel.

Hormis ces recommandations quelque peu originales, les conseils suivants sont intéressants et toujours valables. Se connaitre, avoir confiance en soi. «Seul celui qui se connaitra sera sage dans ses amours et proportionnera les entreprises à ses forces» Savoir se taire et rester discret sur ses relations, s’accepter et «déguiser le défaut sous la qualité qui en est le plus voisine», et surtout pratiquer, encore et toujours.

Il est intéressant de constater à quel point certains conseils paraissent aujourd'hui démodés voire fous, mais aussi comment certains d'entre eux sont, deux millénaires après l'écriture de ce livre, toujours aussi valables.

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Le troisième et dernier livre est consacré aux moyens que les femmes peuvent mettent en œuvre pour séduire les hommes. Ovide donne ici une place primordiale à la beauté de celle-ci qu’elles doivent mettre en avant, car elle n’est qu’éphémère. «Songez à la vieillesse qui viendra ; ainsi vous ne laisserez passer aucun moment sans en profiter» Le conseil, sorte de Carpe Diem, peut également être donné aux hommes, sauf qu’il lie ici la vieillesse à la perte de la beauté. Une femme se doit de mettre l’accent sur son apparence: sa coiffure, ses vêtements, et d’autres moyens lui permettant d’être belle. «Un bouc farouche ne doit pas loger sous vos aisselles et vos jambes ne doivent pas être hérissées de poils rudes» (autant être clair et explicite) «Apprend à marcher comme il sied à une femme», «Si tu es petite, assieds-toi, de peur que, debout, on ne te croie assise» (j'avoue avoir particulièrement ris à la lecture de celui-ci) Le tout en précisant que «c’est en l’absence des hommes qu’il faut vous faire une beauté»

Après avoir tergiversé et s'être limité à ces aspects physiques, il prévient également les femmes des hommes dont «ce qu’ils vous disent, ils l’ont dit à mille autres : leur amour vagabond ne se fixe nulle part», et leur conseille de «ne pas traiter de la même façon un novice et un homme plus expérimenté» En somme, de s’adapter aux hommes qu’elles convoitent, et de ne pas se laisser aller en ce qui concerne l’alcool. «Quel spectacle honteux qu’une femme étendue par terre, gorgée de vin !»

Les recommandations données aux femmes sont moins étendues et moins intéressantes que celles distribuées aux hommes. Peut être parce qu’Ovide en était un ? Ou qu’il n’a pas voulu s’étendre sur le sujet, ne pas trop en révéler. Après tout, aujourd’hui, une femme instruite par la connaissance des techniques de séduction, par l’existence de cette communauté n’en devient-elle pas plus difficile à séduire ? La difficulté apporte certes plus de mérite, et ce n’est pas la connaissance et l’application de techniques qui importe le plus mais l’utilisation que l’on en fait et notre capacité à devenir un homme intéressant, heureux, et qui attirera naturellement, mais c’est un autre débat.

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Alors au fond, que retenir de cette œuvre écrite il y a plus de deux mille ans ? Peut-on en tirer quelque chose pouvant nous aider à séduire ? Et bien pas vraiment. Parce que les conseils donnés ont déjà été répétés maintes fois, ou alors ils sont tous simplement démodés ou inapplicables dans la majeure partie des situations auxquelles nous pourrions être confrontés. Mais il est tout de même intéressant de regarder vers le passé, et d’étudier quels ont été les méthodes et conseils donnés il y a deux millénaires, et comment pouvait fonctionner la séduction à cette époque. Il est également évident que l’ouvrage ne se veut pas totalement sérieux, et comporte une très large dimension parodique. Personnellement, je n’ai pas trop ressenti ce petit côté ironique, voire comique, si ce n'est peut être à certains moments contradictoires (notamment le passage sur le fait de se lier d'amitié avec une femme pour la séduire) Quoi qu'il en soit j'ai considéré cette œuvre comme sérieuse, je n'aurais pas pu faire cette étude si j'avais considéré ce livre comme ironique.

Et si jamais vous étiez intéressés, n’hésitez pas à lire quelques passages (ou l’intégralité pour les plus téméraires) ici. (http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Art_d%E2%80%99aimer_%28Ovide%29)