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Arrêtez de décoder – pour en finir avec les gourous de la communication

Livre de Pascal Lardellier, 157 pages, les éditions de l'hèbe, 2008.

Il y a quelques jours je discutais avec une femme accomplie qui m'a parlé entre autres des dérives de la PNL. Loin des aspirations du début, certains formateurs vous consacrent «*maîtres en PNL*» au bout de trois jours de formation (évidemment à prix élevé) sans rien connaître des bases théoriques, psychologique, etc… Elle-même connaissant ce domaine, elle a plusieurs fois été confrontée à des «*puissants*» essayant de lire en elle ou d'utiliser leurs trucs. Le problème est que ces outils sont en fait des obstacles à la communication véritable.

À la médiathèque j'ai vu ce bouquin, je l'ai lu ce matin et je vous propose une synthèse en espérant qu'elle serve à quelques uns ou qu'elle permette de créer un débat. Il est axé sur les auteurs qui proposent de «*décoder les gestes*», de «*lire en autrui*» mais traite également de manière générale du développement personnel. Il attaque en particulier Messinger, Turchet et Salomé.

D'abord, sur les limites du livre

Je trouve quelques redondances, par exemple sur les motivations des «*gourous*» et leur rapport à la science, et le livre n'est pas toujours très bien organisé.
Ensuite, l'expression et le vocabulaire sont plutôt de haut niveau, l'auteur est cultivé et aime bien écrire.
Enfin il laisse parfois parler un certain mépris en essayant de dénoncer, mais c'est assez rare et parfois bizarrement orienté (contre Céline Dion ou «*les starlettes de 3eme zone*»).

Je me permets de réorganiser entièrement le livre.


I Le rapport haine/amour avec la science

Les «*gourous*» (le mot est utilisé tout le long et justifié, j'y reviendrai après) recourent à de nombreuses citations qu'ils mettent en exergue (au début) des chapitres pour justifier leurs dires. Les auteurs sont très variés (des grecs, des hommes politiques modernes, des savants, un peu n'importe qui du moment qu'il a eu une phrase heureuse). Ces citations tirées du contexte servent souvent de justification.

De la même manière, les gourous proposent souvent une bibliographie mais ne font aucune référence aux auteurs dans le livre. Ils servent de caution scientifique même quand aucune de leur thèse n'est évoquée.

Une science est constituée d'un objet et d'une méthode. En l'occurrence il n'y a pas de méthode, donc il s'agit d'une pseudo-science. Ce n'est pas un problème en soi, mais se prétendre une science relève alors de l'imposture.

Sur un plan équivalent, les noms (synergo-logie, avec le logos qui va bien, morpho-bio-logie) sont là pour donner une crédibilité scientifique.

Les chiffres sont tirés de nulle part, aucune étude ne leur permet d'affirmer que «*les couples parlent 4 minutes par jour en excluant les banalités*» ou «*le corps humain est capable 150 000 gestes porteurs de signification dont 4000 pour les mouvements de la main*». Le gourou affirme et comme il n'y a pas d'étude, on est forcé de le croire sur parole.

Les gourous prétendent souvent inventer totalement leur discipline alors que celles-ci existent depuis longtemps (l'étude des gestes par exemple). Simplement ils les ont vidées de leur substance, remaniées, simplifiées, et croisées (parce qu'ils sont «*passionnés*» par leur domaine ils se proclament experts).

Les gourous se prétendent ainsi souvent experts/docteur/spécialistes et se revendiquent d'écoles qu'ils ont eux-mêmes créés, car, paradoxe, ils aimeraient obtenir la légitimité scientifique et entrer dans les universités.

Les gourous n'ont pas peur de se contredire (le livre est rempli de citations montrant que les gourous racontent parfois tout et n'importe quoi et utilisent un langage spécieux).

Tous ces livres sur les gestes ont deux problèmes principaux. Premièrement, ils ne font quasiment pas mention du contexte (est-on en entretien, sur scène, avec des amis, quels sont les rapports entre vous et votre interlocuteur (hiérarchie, age, milieux social), voire aucune mention des différences selon les pays/cultures où le silence, la distance à autrui, la conscience du temps etc… ne sont pas vus de la même manière).
Deuxièmement, les gourous sont obsédés par la classification simpliste qui permettrait de tout décoder. Ils rassemblent les émotions en quelques types (6 assez souvent) et sont obsédés par une notion*: celle d'ouverture ou de fermeture (à autrui, au dialogue). Ils ôtent toute la complexité des relations humaines (complexité que la science essaie de restituer) pour donner des grilles de lecture faciles.

En effet, «*l'une des limites de l'édition universitaire réside dans son incapacité absolue à prescrire*». La science ne nous dira pas quoi faire ou comment agir, donc la place est libre pour tous ceux qui veulent «*aider*» les personnes perdues. J'y reviendrai plus tard.


II Qui sont ces gourous et quelles sont leur motivations*?

Le gourou de la communication interpersonnelle ne fait pas que vendre des livres. Déjà, il arrive souvent qu'il gonfle ces chiffres de vente (j'ai vendu 100 000 livres, argument d'autorité). Mais surtout, il cherche à entrer dans le domaine de la formation professionnelle par le biais du coaching.
La formation professionnelle est compétitive mais lucrative (elle rapporte beaucoup d'argent), car on programme rarement une formation pour trois personnes mais pour tous les cadres ou commerciaux d'une entreprise par exemple, avec le but d'être plus «*efficace, assertif*».

Il y a une limite à ces stages, je crois que j'avais lu quelque chose de similaire sur ceux d'Anthony Robbins (pouvoir illimité)*: le gourou dope les personnes à renfort de discours, métaphores, moments confessions, ateliers. Les personnes sont boostées le temps du séminaire, et puis retour dans la vraie vie, plus complexe que les grilles de lecture proposées, donc désenchantement. Solution*: acheter le nouveau bouquin, la nouvelle formation, bref entretenir la dépendance au système vendu (ou acheter un système concurrent)

Une des marques de fabrique est en effet la capacité du gourou à décliner les bouquins. Messinger en a écrit au moins 10 (les gestes qui manipulent/séduisent/des politiques/du corps/cachés…) et il ne craint pas de se répéter.

Ces livres sont souvent constitués de «*listes*» et de «*trucs*» avec des schémas*: c'est plus facile à lire que les livres d'auteur anciens, c'est simple. L'auteur parle ici d'une tendance générale, car même les étudiants préfèrent les bouquins compacts/traduits/en liste plutôt que de se plonger dans les livres des auteurs. Et les bouquins de développement personnels se vendent de plus en plus. Autre point positif des listes et schémas, ça passe bien à la télé.

Car les gourous se mettent souvent en scène et vont présenter leur savoir aux chaînes de télé ou dans les revues de psychologie. Quand on ne prête plus foi aux promesses des hommes politiques, on se concentre sur «*le sens caché*», et on essaie de décoder les gestes. Voilà aussi pourquoi les gourous fonctionnent si bien.

Il est temps de justifier le terme de gourou. Il vient de «*gùrù*» mot indien signifiant sage, instructeur spirituel, et désigne aujourd'hui de manière péjorative un «*leader exerçant une influence excessive une influence sur un groupe de personnes qui lui sont inféodées*». On les utilise surtout pour parler des sectes, mais ils méritent ce terme*:
Ils annoncent détenir la vérité (sous couvert scientifique qu'ils n'ont pas, je rappelle), ils promettent une vie meilleure, une compréhension plus fine des relations humaines, un pouvoir que les lecteurs seront capables de détenir et ils s'auto-référencent pour que les personnes restent au sein de leur boucle. Ils organisent des stages d'éveil, d'initiation, de découverte qui, j'en ai parlé brièvement, sont faits pour booster et s'abandonner.

L'auteur avance plusieurs éléments pour les motivations des gourous, entre envie de pouvoir, d'argent, mais il ne rentre pas dans les détails. De même, il choisit volontairement de ne pas trop parler des lecteurs de ce type d'ouvrage (ça m'intéresserait pourtant mais c'est pas le sujet), il dit juste qu'ils ont des réticences vis à vis des publications universitaires (ce n'est pas trop mon cas).